Mis à part un ou deux vieux drapeaux étoilés blanchis par le soleil et abandonnés sur des balcons, il ne reste plus guère de symboles indépendantistes à Sant Joan de Vilatorrada. Depuis qu’en juin 2021, le gouvernement espagnol de gauche, présidé par le socialiste Pedro Sanchez, a gracié les neuf dirigeants indépendantistes catalans condamnés pour la tentative de sécession d’octobre 2017 qui s’y trouvaient en prison, cette petite commune de 11 000 habitants, située à 70 kilomètres au nord de Barcelone, a retrouvé le calme.
Finis les attroupements, les week-ends, devant le centre pénitentiaire de Lledoners, les « musiciens pour la liberté » du dimanche et le « Bona nit ! » (« bonne nuit ») lancé chaque soir aux prisonniers par un jeune riverain à l’aide d’un haut-parleur. Disparus aussi les rubans jaunes, symbole de soutien aux « prisonniers politiques », qui ornaient le mobilier urbain et les rebords de veste, et avaient provoqué des débuts d’affrontement au sein de la population. Il faut monter à la prison pour trouver des vestiges des tensions. Là, des inscriptions délavées, peintes sur la route, ont résisté au temps – « Liberté », « Nous sommes une République », « Nous ne nous rendrons jamais » –, mais plus personne n’y prête attention.
Cet « apaisement », que l’on perçoit dans toute la Catalogne, le chef du gouvernement espagnol le met sur le compte de la politique qu’il a menée à Madrid depuis quatre ans. A la tête d’une coalition de gauche, il s’est appuyé sur les indépendantistes de la Gauche républicaine de Catalogne (ERC), auxquels il a offert ces grâces et la suppression du délit de « sédition ». Et c’est encore au nom du « vivre ensemble » que la gauche négocie à présent avec les indépendantistes catalans l’amnistie de tout délit lié au référendum illégal de 2017, en échange de leur soutien, indispensable à l’investiture, au Parlement. Le temps presse. Il ne reste qu’un mois à Pedro Sanchez pour compléter sa majorité, s’il veut éviter de nouvelles élections. Et pour l’heure, les négociations piétinent.
« On se sent trahis »
Alors que la possibilité d’une amnistie a provoqué plusieurs manifestations massives ainsi qu’une levée de boucliers à droite et dans la vieille garde du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), elle semble susciter une certaine indifférence en Catalogne.
Le 11 septembre, pour la fête nationale catalane, un seul autocar est parti de Sant Joan de Vilatorrada pour Barcelone. Au plus fort du mouvement indépendantiste, ils étaient six à partir pour nourrir une démonstration de force, racontent Jordi Font, 70 ans, et sa femme, Magda Catala, 66 ans, membres de l’Assemblée nationale catalane (ANC), l’association indépendantiste à l’origine des grands rassemblements organisés à partir de 2012. Eux y sont allés, mais ils n’ont voté ni aux élections régionales de 2021, ni aux municipales de mai, ni aux législatives de juillet. Leur fenêtre est l’une des rares du centre-ville à arborer une banderole indépendantiste. « On se sent trahis par les [responsables] politiques, explique Magda. En 2017, nous avons fait tout ce que l’on nous a demandé, nous avons organisé de nombreuses mobilisations, mais ils n’ont pas tenu leurs promesses. On avait pourtant gagné… »
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